La convertibilité totale du dinar - Un vaste et ambitieux programme
Par Ezzeddine SAIDANE (Conseiller financier )
Le projet de rendre le dinar tunisien totalement convertible est sans doute un des points les plus importants du programme électoral 2004-2009 de Monsieur le Président de la République Zine El Abidine Ben Ali, et notamment de la partie économique de ce programme. Le dinar totalement convertible, est-ce une fin en soi ou plutôt un outil de politique économique et monétaire? Peut-on décréter la convertibilité totale du dinar ou s’agit-il là de tout un vaste programme et des ambitions en termes de réalisations et de performances économiques? Quelles sont enfin les conditions préalables qu’il faut réunir afin d’engager avec succès un processus de convertibilité totale de la monnaie?
- Convertibilité courante
Il est important de rappeler au préalable que la Tunisie est
actuellement au stade de la convertibilité courante. Ce processus
engagé depuis 1992 a abouti a un succès incontestable. Les
performances de l’économie tunisienne pendant la période
1992- 2004 en témoignent aussi bien en termes de croissance économique
qu’en termes de préservation des grands équilibres de l’économie.
En effet, tout en enregistrant de très bonnes performances, l’économie
tunisienne garde des fondamentaux tout à fait corrects : dette extérieure,
service de la dette, déficit de la balance des paiements courants,
déficit du budget de l’Etat, taux d’inflation etc. Il est évident
cependant que certains défis subsistent, notamment en matière
de rythme de création d’emplois, de taux d’épargne et d’investissement
(étranger et local) et de performance du système bancaire
et financier. Ce sont ces défis mais aussi les ambitions que se
donne la Tunisie qui justifient l’objectif de la convertibilité
totale du dinar. Il y a ainsi de toute évidence des degrés
de convertibilité, et une bonne manière de les illustrer
serait probablement de les relier à la structure de la balance des
paiements.
- La balance des paiements
En termes simples, la balance des paiements est un compte de la nation
qui enregistre l’ensemble des transactions faites en une année par
le pays avec l’extérieur (le reste du monde). Cette balance se compose
en effet de quatre niveaux:
1) le premier niveau enregistre les opérations d’importation
et d’exportation de marchandises. Le solde de ce niveau est le déficit
(solde négatif) ou l’excédent (solde positif) de la balance
commerciale (biens) ;
2) le deuxième niveau enregistre les opérations d’importation
et d’exportation de services. Le solde de ce niveau est le déficit
(solde négatif) ou l’excédent (solde positif) de la balance
des services. Le cumul des soldes de ces deux premiers niveaux est le solde
de la balance des biens et des services ;
3) le troisième niveau enregistre les opérations de transfert
de toutes sortes et notamment les transferts (dans les deux sens) relatifs
aux revenus du travail ou du capital. Le cumul des soldes de ces trois
niveaux donne le solde de la balance des paiements courants, appelés
aussi le solde courant; et suivant le sens (négatif ou positif)
il est aussi appelé le déficit courant ou l’excédent
courant.
La convertibilité courante concerne l’ensemble des opérations
enregistrées par ces trois premiers niveaux de la balance des paiements,
et elle concerne principalement les entreprises.
Parler de convertibilité courante du dinar ou dire que le dinar
est convertible pour les opérations courantes implique que les opérations
courantes (bien, services et transferts courants) sont généralement
libres, c'est-à-dire non soumises à des autorisations préalables
et par conséquent l’accès à la devise (c'est-à-dire
l’achat des devises contre dinars) pour le règlement de telles opérations
est libre.
La balance des paiements (contrairement aux sous- balances présentées
ci-dessus) est toujours en équilibre. Il n’existe pas de déficit
ou d’excédent de la balance des paiements. Toute transaction faite
par le pays avec l’extérieur donne en effet lieu à un transfert
de fonds du pays vers l’étranger ou (suivant le sens de la transaction)
de l’étranger vers le pays. C’est précisément le dernier
niveau de la balance des paiements qui assure cet équilibre : il
s’agit de la balance des capitaux.
- La balance des capitaux
Ce quatrième et dernier niveau de la balance des paiements,
la balance des capitaux, enregistre l’ensemble des opérations sur
capitaux. Nous pouvons en citer à titre d’exemple les emprunts extérieurs,
les investissements extérieurs, les dons, etc. du côté
des recettes et les remboursements au titre du principal de la dette extérieure,
l’investissement tunisien à l’étranger, etc. du côté
des dépenses.
La convertibilité totale du dinar concerne précisément
deux choses :
- rendre le dinar convertible pour toutes les opérations courantes
;
- rendre le dinar convertible pour les opérations relatives
à la balance des capitaux.
Ceci veut dire que l’accès aux devises (achat de devises contre
dinars) et le transfert de ces devises est généralement libre
(en ce sens qu’il n’ y a pas d’autorisation préalable) pour l’ensemble
des opérations avec l’étranger, et ce, pour les entreprises
(locales et étrangères) et pour les particuliers (citoyens
et étrangers). Il est essentiel donc de s’assurer au préalable
que l’économie est en mesure de supporter et de profiter d’un tel
statut de la monnaie nationale : le statut de convertibilité totale.
- La convertibilité totale du dinar
Si la libéralisation commerciale est urgente, voire nécessaire
pour les pays émergents (comme la Tunisie) ou en développement
avancé, la libéralisation financière n’est ni une
urgence, ni une priorité, ni une fin en soi d’ailleurs. La convertibilité
totale est certes un outil puissant pour faire accéder les économies
qui réussissent à un statut d’économie totalement
ouverte sur l’extérieur, intégrée à l’économie
mondiale et qui demande à être considérée comme
un partenaire à part entière et comme une destination valable
d’investissements de toutes sortes et notamment d’investissements directs.
Une manière simple d’illustrer la convertibilité totale
d’une monnaie serait de la définir en termes d’offre et de demande
de cette même monnaie. L’offre du dinar veut dire dans ce cas-là
que les autorités du pays acceptent que la valeur du dinar ne soit
plus «administrée» mais qu’elle soit déterminée
par les forces du marché. Le dinar va donc pouvoir «flotter»
sur le marché et à chaque instant sa valeur sera déterminée
selon les forces d’offre et de demande du dinar présentes sur le
marché des changes. Ceci ne veut pas dire évidemment que
les autorités monétaires tunisiennes perdent tout contrôle,
ou tout pouvoir d’influencer la valeur de la monnaie nationale. Les autorités
monétaires ont toujours la possibilité d’intervenir. Ce sont
cependant les outils de cette intervention qui changent. Il n’y a plus
de réglementation des changes et du commerce extérieur mais
il reste toujours les possibilités d’intervenir en faisant varier
le taux d’intérêt ou même en intervenant directement
sur le marché des changes (en achetant ou en vendant le dinar).
- La demande de dinars
La principale responsabilité de la Banque centrale de Tunisie
est la protection de la valeur de la monnaie nationale. C’est pour cela
que les questions de stabilité du niveau général des
prix et d’inflation sont à ce propos essentielles. La protection
de la valeur de la monnaie nationale implique qu’il faut en assurer la
stabilité. Or dans un contexte de convertibilité totale du
dinar, et donc de liberté totale des changes, un équilibre
doit être recherché en permanence entre l’offre et la demande
de dinars. Mais en fait qui va demander le dinar et pour quelles raisons?
Le dinar sera demandé d’abord par les nationaux (entreprises
et particuliers) qui rapatrient les revenus de leurs exportations de biens
et de services et les revenus de leurs investissements à l’étranger.
Ils demandent le dinar pour régler leurs transactions (de toutes
natures) en dinar mais aussi parce qu’ils ont confiance en leur monnaie
nationale. La question de la confiance en la monnaie nationale est à
ce propos une question centrale. Le dinar sera demandé aussi par
les étrangers (entreprises et particuliers) pour effectuer des transactions
avec la Tunisie. Ces transactions peuvent porter sur des achats de biens
ou de services d’origine tunisienne ou sur des investissements en Tunisie.
Ceci implique donc que les entreprises tunisiennes, et l’économie
tunisienne en général, soient compétitives, performantes
et capables d’offrir des biens et des services qui intéressent les
étrangers par leur prix et leur qualité. L’économie
tunisienne doit aussi pouvoir offrir des opportunités d’investissement
qui intéressent les investisseurs non-résidents.
Le dinar peut aussi être demandé par les non-résidents
s’ils le considèrent comme une bonne réserve de valeur. Ce
statut est cependant réservé aux principales devises jouant
un rôle de monnaie internationale telles que le dollar US, l’euro,
le yen japonais, le franc suisse, etc.
S’il n’y a pas suffisamment de demande de dinars, l’offre de dinars
se trouverait excédentaire, et ainsi le déficit éventuel
de la balance des paiements courants se traduirait par une sortie de capitaux
(baisse des réserves de change) ou par un endettement supplémentaire
du pays vis-à-vis de l’extérieur. La conséquence serait
évidemment un affaiblissement de l’économie et l’ajustement
(et le retour à l’équilibre) se ferait entre autres à
travers une dépréciation de la monnaie nationale qui peut
prendre la forme d’un glissement ou d’une dévaluation de la monnaie
nationale.
La convertibilité totale du dinar ne peut donc pas être
décrétée, elle doit pouvoir être constatée
sur le terrain. Les entreprises tunisiennes, le système bancaire
et financier et l’économie tunisienne en général doivent
atteindre des niveaux de performance et de compétitivité
qui permettent de justifier, supporter et tirer profit d’une situation
où le dinar serait totalement convertible.
Or justement, il y a lieu de souligner dans ce sens que la progression
de notre économie vers la convertibilité totale du dinar,
telle que préconisée dans le programme présidentiel,
s’inscrit dans un ensemble de mesures cohérentes qui concourent
toutes à la modernisation de l’économie nationale et tout
particulièrement la compétitivité de la sphère
productive et du système bancaire et financier national. Ce qui
constitue, faut-il le rappeler, les préalables nécessaires
au cheminement vers cette convertibilité.
Il est utile également de noter à ce propos que la convertibilité
du dinar est déjà quasi totale pour les étrangers
non résidents, entreprises et particuliers.
La convertibilité totale du dinar représente par conséquent
un vaste programme qui concerne tous les secteurs et tous les aspects de
l’économie tunisienne. Sa réalisation ne peut être
que progressive et sagement dosée.
L’aboutissement du processus de convertibilité totale du dinar
placerait l’économie tunisienne sur une nouvelle orbite de croissance
et de progrès avec des performances encore meilleures devant parachever
l’intégration de notre économie à l’économie
mondiale.
Ezzeddine SAIDANE