Alain Marleix, ex-Secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants, secrétaire d’État français auprès du ministre de la Défense chargé des Anciens combattants,
"Entre l’Algérie et la France, le temps de l’affrontement est terminé"
Même si ses attributions viennent de changer au sein du gouvernement
français, Alain Marleix, secrétaire d’État auprès
du ministre de la Défense chargé des Anciens combattants,
effectuera à Alger les 21 et 22 mars la visite qui avait été
programmée en plein accord avec son successeur, Jean-Marie Bockel,
et le ministre de la Défense, Hervé Morin. Mandaté
par le président Sarkozy dont il est un des proches ministres,Alain
Marleix, livre à Liberté la nouvelle vision qui prédomine
à L’Élysée sur les relations algéro-françaises,
notamment sur l’épineuse question de la mémoire. Sans éviter
les points sensibles de cette relation entre Alger et Paris, Alain Marleix
transcende les clivages historiques pour souligner ce nouvel état
d’esprit qu’il résume par le fait que "la France veut avancer pour
rapprocher nos mémoires". Il abordera, également, la reconnaissance
de la France pour la participation essentielle des anciens combattants
algériens à la victoire sur le nazisme durant la Seconde
Guerre mondiale et la réforme de leur statut, notamment sur
les pensions, décidée par Paris.
Monsieur le secrétaire d’État, six mois après
votre première visite, dans quel état d’esprit revenez-vous
à Alger, tout en sachant que la visite du président Sarkozy,
en décembre 2007, avait suscité, comme à l’accoutumée
dans les relations algéro-françaises, des passions et des
controverses dans les deux pays ?
Alain MARLEIX - Je suis heureux de revenir ici à Alger, où j’effectue mon troisième déplacement depuis septembre 2007. Tout d’abord, parce que je sais y être bien accueilli par les autorités algériennes. Je veux les en remercier. Et surtout, parce que cette visite témoigne de l’attachement du président de la République et du gouvernement français à la relation d’exception avec l’Algérie. Vous savez que je viens d’être nommé à d’autres fonctions au sein du gouvernement. Mais le président m’a demandé de maintenir ma visite pour réaffirmer l’importance qu’il attache personnellement à la relation franco-algérienne et pour tenir les engagements qu’il a pris pendant sa visite d’État
La France, Monsieur le secrétaire d’État, semble plus déterminée dans son action par rapport aux anciens combattants algériens qui ont été les "oubliés" de la lutte contre le nazisme. Est-ce que les mesures que vous préconisez, notamment la revalorisation des pensions, demande majeure de ses anciens combattants, sera à l’ordre du jour ?
Alain MARLEIX - Non, la France n’a pas oublié les 150 000 Algériens
qui ont pris, au côtéde leurs frères d’armes français,
une part déterminante à la lutte contre le nazisme. En Provence
ou en Alsace, par exemple, nos villes se souviennent, à travers
le nom de leurs rues ou
leurs monuments, que leur libération est aussi venue du Maghreb.
La France a si peu oublié qu’en 2004, Alger a été
faite "chevalier de la Légion d’honneur" pour rappeler à
tous et, notamment aux plus jeunes qu’elle fut pendant près de deux
ans, la capitale de la France libre Au-delà et, puisque vous le
savez, nous venons de rendre un hommage solennel à notre dernier
poilu de la Première Guerre mondiale. Je voudrais rappeler qu’en
2006 a été inauguré à Verdun un monument à
la mémoire des soldats musulmans qui ont pris part à cette
guerre.Parmi eux, il y avait déjà 170 000 Algériens.En
revanche, je pense que le souvenir de cette partie de notre histoire commune
a été gommé, ou en tout cas brouillé, par ce
qui, plus tard, nous a opposés. Des deux côtés de la
Méditerranée, à partir des années 1960, la
nouvelle page que chacun de nos deux pays devait écrire n’offrait
pas beaucoup de place à cette épopée, qui pourtant
restera comme une des plus belles pages de l’histoire, écrite ensemble
cette fois, par nos deux nations. Ceci peut expliquer que le problème
des pensions militaires françaises versées aux anciens combattants
algériens ait été si long à trouver une solution.
Mais aujourd’hui, c’est chose faite ! Je vous précise à ce
sujet qu’après la réforme de décembre2002, qui s’était
déjà traduite par un quadruplement des sommes versées,
l’alignement total des prestations versées aux anciens combattants
algériens sur les
pensions françaises est intervenu en Algérie dès
juin 2007. Aujourd’hui, près de 5 milliards de dinars sont versés
à ce titre chaque année en Algérie.Mais nous voulons
aller plus loin après l’entrée en vigueur de cette réforme
essentielle.Nous voulons maintenant apporter aux anciens combattants algériens
les prestations complémentaires, en matière d’action sociale,
de soins
médicaux ou encore d’appareillage, auxquelles ils ont droit.
Cela passe par la réouverture très prochaine d’un service
d’accueil et d’information dans les anciens locaux du consulat général
de France, dans le quartier du Télemly, à Alger.
On n’a jamais évoqué les raisons exactes de la fermeture du service des anciens combattants à Alger en 1994. Pourquoi une telle décision eest-ce que cela ne vous a pas pénalisé dans le suivi des dossiers des anciens combattants algériens ?
Alain MARLEIX - La suspension d’activité – et non pas la fermeture
– du service des anciens combattants d’Alger en 1994 était uniquement
due au contexte sécuritaire difficile que connaissait alors l’Algérie.
Aujourd’hui, heureusement, les choses ont évolué plus favorablement
dans ce domaine. Mais il faut le rappeler tout simplement : les conditions
d’alors ne permettaient plus l’exercice de nos missions qui exigent pour
la
plupart d’entre elles un contact direct avec nos usagers. Cela a pénalisé
les anciens combattants algériens qui n’avaient plus d’interlocuteurs
sur place et qui, désemparés, se sont adressés à
beaucoup de services de mon ministère ou d’autres administrations
qui ont apporté,dans la mesure de leurs possibilités, les
meilleures réponses. Mais cela n’était pas satisfaisant et
c’est pourquoi dès 2004 nous avons repris progressivement une partie
de notre activité, celle consacrée au suivi de l’appareillage
orthopédique des mutilés de guerre (800 personnes environ).
Depuis cette date, un technicien spécialisé assure cette
mission à Alger en partenariat étroit avec l’Office national
de l’appareillage des personnes handicapées, qui est, je crois,
l’un des organismes de référence en la matière. Une
convention a été signée, et cette collaboration,dans
un domaine très technique, se déroule à la satisfaction
de tous. Ce que je veux maintenant ajouter sur ce sujet, c’est que, dorénavant,
les anciens combattants algériens ont un interlocuteur, ici, à
Alger, à travers le service des anciens combattants placé
près de l’ambassade de France. Déjà des sessions d’accueil
personnalisées sont organisées dans les consulats généraux
de France à Oran et Annaba pour ceux qui habitent dans ces deux
régions. Tous les anciens combattants ou leurs veuves peuvent y
recourir. Une seule condition : prendre au préalable un rendez-vous
au numéro 1579. Dans un avenir très proche, cette même
possibilité d’accueil sera offerte à Alger, dans les locaux
de notre nouveau service des anciens combattants. Mais d’ores et déjà,
celui-ci est à l’écoute des demandes qui lui sont adressées
par téléphone ou par courrier. Dans les prochaines semaines,
il mettra également en ligne sur le site de l’ambassade de France,
une banque d’informations accessible aux 28.000 ressortissants concernés
recensés aujourd’hui en Algérie.
Différents services et avantages semblent en préparation au niveau de votre cabinet. Qu’en est-il ? Existe-il de nouvelles mesures dans ce sens?
Alain MARLEIX - La vraie nouveauté passe par la réouverture prochaine du service de proximité qui pourra leur apporter les prestations complémentaires déjà prévues par la loi mais qui nécessitent pour leur mise en œuvre une possibilité d’accueil et de réception de notre public.En revanche, dorénavant, et c’est aussi une nouveauté introduite par la réforme entrée en vigueur cette année, les anciens combattants algériens bénéficieront, comme leurs camarades français, de toute éventuelle évolution positive de la législation française dans ce domaine. Si, par exemple, on décidait d’augmenter le montant de la retraite du combattant, les anciens combattants algériens en bénéficieraient de plein droit, ce qui n’est que justice !
Le président Sarkozy a, dans un geste unique, rendu à
l’Algérie la carte des mines enfouies par l’armée française
durant la guerre d’indépendance. Ce geste a été apprécié
en Algérie. D’autres décisions de ce type peuvent-elles suivre
? La prise en charge des victimes de ses
mines semble être une de vos priorités avec la création
de centres orthopédiques et appareillage?
Alain MARLEIX - La France a certainement trop tardé pour remettre
les plans des champs de mines des lignes Challe et Morice, mais il faut
reconnaître ici qu’il s’agit d’une décision que le président
Sarkozy a prise dès son élection. Au-delà de l’aspect
pratique de cette mesure — je sais qu’il fait ici l’objet de débats
mais je sais aussi qu’il n’est pas nul ! — il y a d’indéniables
aspects symboliques dans cette décision : le temps de l’affrontement
est terminé ! Il faut aller de l’avant, sans oublier — car l’oubli
serait une insulte à la mémoire des morts de nos deux pays
— et privilégier, dorénavant, et je cite le président
de la République, "ce qui nous unit par le cœur et la raison".Plus
concrètement, je précise que lors de la visite d’État
de décembre dernier, le président de la République
s’est engagé auprès du président
Bouteflika à assurer, en fonction des besoins qui nous seraient
signalés par les autorités algériennes, une prise
en charge médicale et orthopédique des victimes de ces mines.
Les modalités de cette action, qui serait menée en partenariat
étroit avec les structures algériennes qui interviennent
déjà très efficacement dans ce domaine, restent aujourd’hui
à préciser, mais nous sommes prêts à prendre
notre part dans le traitement de ces cas douloureux. Mon département
ministériel a une réelle compétence dans ce domaine,
et il est prêt à étudier des
procédures d’échange de savoir-faire ou de collaboration
technique.
Le débat sur la mémoire est apprécié différemment dans les deux pays. Le concept de bienfaits de la colonisation" a été vécu comme un outrage par les Algériens, très attachés à leur histoire, à qui certains politiques français emblent demander d’oublier les crimes coloniaux.Comprenez-vous ce sentiment de justice et de rétablissement des faits du côté algérien ?
Alain MARLEIX - Je comprends, d’autant plus cette nécessité
de rétablir les faits que le président Sarkozy l’a fait,
ici même, en Algérie, à l’occasion de son discours
à l’université Mentouri de Constantine. Le président
de la République, dans un discours très novateur, a souhaité
que nos deux peuples regardent l’histoire en face, sans se cacher derrière
les idéologies et les polémiques que certains, en France,
mais peut-être
aussi en Algérie, souhaitent en permanence raviver. Il a condamné
la colonisation, de la manière la plus solennelle. Il a reconnu,
sans détour, sans langue de bois, que la France avait commis en
Algérie des fautes et des crimes. Aucun de ses prédécesseurs
ne l’avait fait avant lui. La France veut avancer pour rapprocher nos mémoires.
Vous me parlez encore de l’article d’une loi qui a été abrogé
dès 2005, à la demande du président Chirac, ce qui,
aussi, était une démarche exceptionnelle, car ce texte avait
été voté par le Parlement. Ce texte ne fait plus partie
du droit français ! Alors, pourquoi en parle-t-on encore ? Connaissez-vous
un autre pays qui ait abrogé une loi de son Parlement, pour donner
un gage d’amitié et d’apaisement à un autre pays ? Moi, je
n’en connais pas.Je sais aussi que certains réclament les archives.
La France a déjà rendu les archives de la période
ottomane que l’État détenait.Concernant les archives de la
période coloniale, celles-ci font l’objet d’un différend
entre juristes, les nôtres estimant, au contraire de leurs homologues
algériens, qu’elles sont la propriété de l’État
français qui les a édictées. Mais si l’on veut vraiment
aller vers la vérité, alors il faut cesser de camper sur
des positions de principe qui bloquent ce dossier depuis des décennies
et l’aborder de façon pragmatique, comme nous l’avons fait pour
les mines. Ainsi nous avons proposé à la partie algérienne
une coopération dans ce domaine. Le directeur des archives a été
invité en France, et nous serions heureux de l’accueillir au moment
qui lui conviendra. Nous avons proposé la création d’un groupe
de travail composé d’experts franco-algériens pour faciliter
l’accès des historiens à ces archives. Enfin, l’institut
national audiovisuel français a transmis récemment toutes
les archives télévisuelles correspondant à l’Algérie.
Je dis bien toutes, sans exception. On peut regretter que les images ne
montrent pas les souffrances des Algériens, mais il s’agit pour
beaucoup d’images de la télévision officielle française.
Elles choisissaient de montrer une partie seulement de la réalité.
Ce n’est qu’une face de la vérité et je le reconnais sans
difficulté. Aux historiens français et algériens de
rétablir tous les faits.
L’idée d’un pardon de la France à l’égard de l’Algérie est-il, pour vous, une nécessité, une repentance, un aboutissement logique, un mea-culpa impossible ou un geste inconcevable ?
Alain MARLEIX - Nous avons la chance aujourd’hui de pouvoir prendre le même chemin, celui de la vérité. La vérité, si difficile qu’elle puisse être à entendre pour certains, nous amènera à l’apaisement. Nous souhaitons avancer dans la reconnaissance des faits en respectant la dignité de chacun. C’est un travail qui doit se faire à deux. La France a la responsabilité principale de ce qui s’est passé pendant la période coloniale.Mais cela ne veut pas dire que la vérité est en noir ou blanc. Il faut lever tous les tabous et remettre en cause les vérités révélées des deux côtés. C’est pourquoi nous souhaitons que des historiens algériens et français travaillent ensemble dans la future fondation pour la mémoire annoncée par le Premier ministre François Fillon.
Votre prédécesseur, M. Mekachera, était un harki qui n’a pas été le bienvenu à Alger à cause du dossier sensible des harkis. Pour ’Algérie, ce dossier est définitivement franco-français. Comprenez-vous l’Algérie quand elle ne veut pas évoquer cette question du moment qu’on ne discute pas avec ceux qui ont trahi la patrie, comme vous n’avez jamais fait preuve d’indulgence envers les vichystes ?
Alain MARLEIX - Tout d’abord, une précision. M. Mekachera était
un officier de carrière de l’armée française dans
laquelle il a servi jusqu’en1975. Il fait partie de ceux qui ont opté
pour la nationalité française, comme d’autres, Français
d’Algérie, ont choisi de devenir algériens ainsi que le prévoyaient
les Accords d’Évian. Il n’était donc pas à proprement
parlé un harki, puisque les harkis n’avaient pas le statut de militaire.
Cela dit, je ne suis pas sûr que la comparaison entre les harkis
et les collaborateurs du régime nazi soit opportune, car la France
en Algérie,malgré tout ce que l’on peut reprocher au système
colonial — que le président de la République a justement
dénoncé lors de sa visite d’État —,ce n’était
pas la barbarie nazie. La réalité est déjà
assez terrible pour que l’on n’en rajoute pas.L’exagération n’est
jamais la meilleure façon de rendre hommage à ceux qui ont
souffert. En revanche, vous avez raison de dire que ce dossier comporte
un fort enjeu franco-français car les harkis sont membres à
part entière de notre communauté nationale et il s’agit de
faire en sorte qu’aucune discrimination ne soit exercée à
leur égard. Les harkis ont choisi la France, et si la France avait
tort, comme l’histoire l’a ensuite démontré, ce n’est pas
aux harkis qu’il faut s’en prendre,
mais à la France. La France, elle, a des devoirs envers ces
harkis qu’elle a longtemps traités de façon injuste. Sur
la perception de cet aspect de l’histoire, il faut aussi peut-être
tout simplement reconnaître que nos points de vue divergent encore,
même si je peux très bien comprendre la sensibilité
qui est la vôtre.
Quelle est la position de votre département par rapport à certaines commémorations et stèles provocatrices en France qui glorifient les acteurs et les actions de l’OAS en Algérie ?
Alain MARLEIX - Vous savez, il existe chez nous une multitude d’associations
qui représentent différentes sensibilités. Certaines
d’entre elles, par exemple, retiennent la date du 19 mars, tout comme vous,
pour commémorer la fin de la guerre en Algérie. D’autres
refusent cette date. Ces associations organisent parfois des manifestations
ou commémorations qui, dès lors qu’elles respectent les règles
de droit commun, sur les troubles à l’ordre public, par exemple,
sont autorisées. Mais elles doivent être distinguées
des commémorations officielles organisées par l’État
qui elles seules traduisent la volonté d’inscrire dans la mémoire
nationale tel ou tel événement. Pour ma part, je souhaiterais
une approche plus consensuelle, partagée, de la mémoire,
et c’est pourquoi nous souhaitons soumettre aux autorités algériennes
un projet de fondation commune pour assurer l’entretien et la restauration
des cimetières européens, mais aussi, pourquoi pas, des monuments
les plus remarquables d’avant l’indépendance. Je pense qu’aujourd’hui,
les Français rapatriés d’Algérie et leurs
descendants peuvent constituer une force d’impulsion des relations
franco-algériennes. Ceux d’entre eux qui visitent l’Algérie
sont d’ailleurs toujours reçus magnifiquement.
Certains à Alger on cru qu’avec l’arrivée du président Sarkozy à l’Élysée, considéré comme ne faisant pas partie de la "génération algérienne" de la classe politique française puisque n’ayant pas connu la guerre, les choses allaient changer. Mais on ne le sent pas décomplexé vis-à-vis de la question du pardon.
Alain MARLEIX - Le président Sarkozy a été le premier chef d’État à reconnaître les crimes et les fautes commis pendant la période coloniale. Je sais que ce discours a été apprécié par de nombreux responsables. Il a lancé un message d’amitié et de confiance.Dans son discours de Constantine, il a voulu s’adresser aux jeunes Algériens pour dire que nous souhaitions nous tourner vers l’avenir sans oublier les blessures profondes que les tragédies de l’histoire ont laissées sur l’âme du peuple algérien. C’est ainsi que nous serons idèles aux souvenirs de nos morts, qu’ils soient Algériens ou Français.
C’est par des gestes concrets, comme ceux qu’il a décidés,
que les choses changeront. L’union pour la Méditerranée,
que le président Sarkozy a initiée, sera certainement une
des traductions de ce changement, qui permettra à toutes les générations
qui n’ont pas connu la guerre, en France mais aussi en Algérie,
de mieux se connaître et d’être fières de la richesse
de ce u’elles ont en commun