« Le référendum du 8 avril 1962 étant un acte du peuple souverain (article 3 de la constitution), il s'impose à toutes les autorités publiques et donne aux déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, une valeur quasi-constitutionnelle. La Nation savait exactement à quoi elle s'engageait en approuvant (ces} déclarations gouvernementales. Il ne s'agit plus seulement ici de l'obligation générale de solidarité en face des calamités publiques, laquelle n'oblige pas à une réparation intégrale; il s'agit d'obligations, plus précises et plus strictes, à une indemnisation juste. Ces obligations, la Nation les a souscrites le 8 avril 1962, le moment est venu de les honorer ».
« Il existe incontestablement un droit des Français d'Algérie ayant subi des pertes ou des spoliations à l'indemnisation directe de celles-ci par l'Etat français indépendamment de tout problème de participation de l'Etat algérien à cette indemnisation... S'agissant d'une obligation juridique à réparation, et non de secours ou de mesures de bienveillance, le quantum de la réparation est mesuré par l'équivalent économique de la perte subie ».
Georges Vedel, doyen de la Faculté de droit de Paris et al., 1er décembre 1964
Textes de base: Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, art. 17; Préambule de la Constitution de 1958; Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948; Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme de 1950 (protocole additionnel art. n° l); Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne de 2000; Loi du 26 décembre 1961 art. 4 ; Loi n° 70-632 du 15 juillet 1970; Loi n° 78-1 du 21 janvier 1978 ; Loi n° 87-549 du 16 juillet 1987.
La
créance sur l'Etat des citoyens spoliés ou ayant tout perdu,
réfugiés de territoires se trouvant antérieurement
sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France
est fondée sur des principes fondamentaux inscrits dans la Constitution
(droit de propriété, - égalité de tous les
Français devant les charges publiques); cette créance est
encore plus directement liée, dans le cas des anciens départements
français d'Algérie, aux engagements gouvernementaux français
unilatéraux du 18 mars 1962 (improprement dits « Accords d'Evian
») consacrés par la loi référendaire d~ 13 avril
1962 laquelle en a fait de véritables obligations de droit interne
en matière d'indemnisation des biens spoliés ou perdus. Jusqu'à
présent l'Etat n'a jamais assumé ces obligations et s'est
contenté de contributions très partielles, dites de «
solidarité ».
Alors qu'une seule loi d'indemnisation aurait dû être promulguée
immédiatement et suffire en quelques années à réparer
les dommages, les trois lois successives de 1970, 1978 et 1987 ont été
prises avec retard et l'exécution de la dernière ne s'est
achevée que trente cinq ans après les dépossessions,
l'ensemble n'ayant en moyenne compensé que 22 % des pertes en principal,
soit 10% à peine en réalité économique.
En effet, ces trois lois ont toutes été exorbitantes du droit
commun: l'éligibilité au droit à l'indemnisation a
été restreinte par toutes sortes d'exclusions violant le
code civil (ventes à vil prix, français ayants droit d'étrangers,
personnes morales...), l'évaluation des biens spoliés ou
perdus a été minorée d'un facteur 2 environ, à
peine la moitié de l'érosion monétaire intervenue
depuis a été prise en compte, les indemnités versées
ont été elles-mêmes inconstitutionnellement plafonnées,
aggravant les discriminations de toute nature, non seulement entre métropolitains
et « rapatriés », mais aussi entre les ayants droit
de ces derniers.
Le différé (10 ans), puis l'émiettement et l'étalement
dans le temps (25 ans) des indemnités versées, le tout combiné
avec la totale absence de compensation de la privation de jouissance des
biens spoliés ou perdus pendant 35 ans, ont ôté toute
signification économique à cette indemnisation partielle
dont le cumul budgétaire a été de 11,215 MdF (valeur
1962), à comparer à l'évaluation des biens par les
experts des Rapatriés: 50 MdF (valeur 1962), ou à l'évaluation
par l'Administration elle-même: 27,635 MdF (valeur 1962).
Il s'est donc agi là d'un véritable déni de justice,
d'autant moins acceptable pour les ménages rapatriés que
les sociétés capitalistes métropolitaines ayant été
spoliées d'actifs en Algérie ou Outre Mer ont pu, elles,
par le biais de la législation comptable et fiscale, être
indemnisées immédiatement à hauteur de 50% de leurs
pertes, sans aucun plafonnement!
Ce déni de justice inadmissible en 1962 l'est encore plus aujourd'hui alors que la France s'est enrichie depuis plus de trois fois et demie en termes réels. En conclusion, c'est la responsabilité et donc le devoir de la France que d'assumer les conséquences matérielles de décisions de repli sur l'hexagone prises dans la deuxième moitié du XXème siècle. Afin d'accélérer l'adoption d'une nouvelle loi d'indemnisation avant que les adultes de 1962 ne soient tous décédés, les rapatriés accepteraient qu'elle s'inscrive dans une enveloppe complémentaire ultime en principal équivalente à 10 MdF (1962), soit à peine la moitié de la créance restante.